Et si les trous noirs étaient en fait des trous de ver connectant différents univers entre eux ? Cette hypothèse, bien que peu crédible, est envisagée depuis des années, en particulier en ce qui concerne les trous noirs supermassifs au cœur des galaxies. Un phénomène d’écho dans les ondes gravitationnelles pourrait nous en dire plus.

Ça y est, des ondes gravitationnelles ont été détectées. Ces fluctuations de l’espace-temps proviennent de la fusion de deux trous noirs d’environ 30 fois la masse de notre Soleil. Découvrez dans cette vidéo comment les scientifiques de Ligo ont pu effectuer ces premières mesures.

De nombreuses observations astrophysiques laissent penser que certains objets se comportent bien en accord avec la théorie des trous noirs développée au cours de son âge d’or, c’est-à-dire, grosso modo, de 1963 à 1973, soit de la découverte de la métrique de Kerr pour les trous noirs en rotation à celle du rayonnement de Hawking.

Des observations, en particulier, soutiennent l’existence d’un horizon des événements pour certains des objets compacts prétendant au titre de trou noir. Or, c’est bel et bien l’existence de cet horizon qui définit mathématiquement et physiquement un trou noir et aucunement ce qui peut se trouver sous cet horizon, qu’il y ait ou pas une singularité de l’espace-temps.

Toutefois, la rigueur exige de démontrer l’existence de cet horizon par des observations, ce que peut aider à faire l’étude des ondes gravitationnelles résultant de la collision des objets que l’on considère jusqu’à preuve du contraire comme des trous noirs. Comme Thibault Damour et Sergey Solodukhin l’ont montré il y a plus de dix ans, il se trouve que plusieurs signatures de la physique des trous noirs en astrophysique pouvaient être imitées par la physique des trous de ver.

Cette découverte est venue donner, à l’époque, un peu plus de légitimité à des idées avancées et explorées depuis un moment déjà, à savoir que les trous noirs supermassifs au cœur des galaxies, et qui ont surtout été, dans le passé du cosmos observable, des quasars, sont en fait des trous de ver connectant d’autres univers ou des portions de notre univers.

Quasars : des trous noirs ou des trous de ver ?

Ainsi, dans le bestiaire des astres relativistes qui a commencé à être exploré sérieusement au début des années 1960 pour rendre compte de l’existence des quasars, certains chercheurs renommés, comme Igor Novikov et Yuval Ne’eman, ont même proposé que ces quasars soient en fait des trous blancs, encore appelés « fontaines blanches ».

C’est-à-dire qu’il s’agissait soit de régions de l’univers dont l’expansion au moment du Big Bang avait été retardée (hypothèse des lagging core), soit justement de l’autre extrémité de trous de ver éjectant sans retour possible la matière qu’ils avaient absorbée sous forme de trous noirs, également sans retour possible, dans une autre partie du cosmos voire dans un autre univers (techniquement, des trous blancs peuvent être vus comme des trous noirs avec un renversement du sens de l’écoulement du temps, et donc des objets dans lesquels rien ne peut rentrer).

Aujourd’hui, une équipe internationale de physiciens relativistes, dont Pablo Bueno, Pablo A. Cano et le célèbre Thomas Hertog, tous trois membres de l’université de Louvain (Belgique), avec deux autres collègues, ont fait savoir qu’ils avaient poussé les travaux de Damour et Solodukhin plusieurs crans plus loin, comme ils l’expliquent dans un article disponible sur arXiv. Comme on le laissait supposer un peu plus haut, c’est dans l’étude des ondes gravitationnelles pouvant produire ces objets que des caractéristiques différentes de celles des véritables trous noirs font leur apparition, fournissant un moyen de départager les deux théories, et cela potentiellement déjà avec les détecteurs Ligo et Virgo.

Lorsque deux trous noirs entrent en collision, ils fusionnent et l’objet produit est lui-même un trou noir dont l’horizon des événements est bosselé, agité de violentes vibrations appelées « des modes quasi-normaux », à la façon d’une cloche frappée qui résonne. Ces modes produisent des ondes gravitationnelles qui emportent au loin l’agitation de l’horizon pour lui permettre de devenir celle décrite par la solution de Kerr des équations d’Einstein, c’est-à-dire la métrique définissant l’espace-temps d’un trou noir sans charge et de rotation arbitraire (il contient donc le cas particulier, sans rotation, de la solution de Schwarzschild).

Des ondes gravitationnelles piégées entre deux barrières

Damour et Solodukhin ont montré qu’un trou de ver de Schwarzschild pouvait malheureusement se faire passer pour un trou noir de Schwarzschild. Toutefois, aussi bien dans ce cas que pour sa généralisation à un trou de ver de Kerr en rotation, Hertog et ses collègues ont montré qu’un nouveau phénomène apparaissait, une sorte d’écho des ondes gravitationnelles émises par la fusion de deux trous de ver. La détection de ce phénomène, qui produit des ondes avec un spectre bien précis, nous assurerait alors de l’existence de ces trous de ver, peut-être justement au cœur des galaxies comme la Voie lactée, ouvrant peut-être également une fenêtre d’observation sur un multivers, comme Igor Novikov et ses collègues l’avaient proposé dans un article dont Futura avait parlé il y a une dizaine d’années (voir article ci-dessous).

Ce phénomène d’écho avait déjà été observé théoriquement dans plusieurs modèles d’objets exotiques sans horizon des événements avancés comme des alternatives (généralement peu crédibles) aux trous noirs, telles que les gravastars et, surtout, depuis quelques années, les modèles introduisant une sorte de « firewall » pour résoudre un paradoxe concernant la théorie quantique de l’information avec les trous noirs.

En pratique, cela revient à considérer des objets avec une sorte de coquille impénétrable d’où partent des ondes gravitationnelles qui se réfléchissent en direction de cette coquille du fait de l’existence d’une sorte de barrière dans l’espace-temps autour de cette dernière (techniquement, pour un trou noir, une barrière de potentiel produite notamment par sa rotation) et qui se comporte comme une lame semi-transparente en optique (une partie de l’onde tombant sur la lame est transmise, l’autre est réfléchie).

Une partie des ondes gravitationnelles rebondissant plusieurs fois entre la coquille et la barrière effective avant de s’échapper, cela donne bien un phénomène qui serait perçu comme l’équivalent d’un écho sonore. Des tentatives ont déjà été faites pour chercher des signatures de ce phénomène dans les données de Ligo et Virgo, sans succès jusqu’à présent. Mais nous n’en sommes qu’au tout début de l’astrophysique gravitationnelle.

  • Les trous noirs sont définis par l’existence d’un horizon des évènements. Ils partagent certaines autres propriétés avec des objets sans horizon que sont les trous de ver, également solution des équations d’Einstein, et peuvent donc se faire passer pour eux.
  • Plusieurs objets astrophysiques se comportent de façon convaincante comme des trous noirs, mais une preuve définitive, la présence d’un horizon, manque ; il existe des alternatives à cette hypothèse mais elles sont peu crédibles.
  • Ligo et Virgo pourraient permettre de distinguer trous noirs et trous de ver viaun phénomène d’écho dans les ondes gravitationnelles émises lors des collisions et fusions de ces objets.

Des trous de ver au centre des galaxies ?

La science-fiction en a rêvé et l’Univers l’a peut-être fait ! Cette théorie, suffisamment folle pour être vraie selon les mots de Niels Bohr, vient d’être proposée par Igor Novikov et ses collègues N.S Kardashev, célèbre pour ses travaux en radioastronomie et A.A Shatskiy.

D’abord qui est Igor Novikov ? Il s’agit d’un des meilleurs experts de l’astrophysique relativiste et l’ancien collaborateur principal de Zel’dovich, peut-être le plus grand cosmologiste du XXe siècle.

Maintenant que propose-t-il dans ce preprint récent sur Arxiv avec son célèbre collègue Nikolaï Kardachev ?

En premier lieu, que des trous de ver traversables pourraient exister, avec cette fois-ci une quantité arbitrairement faible d’énergie exotique négative, s’ils possédaient une charge magnétique et donc un champ magnétique radial. En soi, c’est déjà un résultat assez spectaculaire qu’une telle solution des équations d’Einstein existe effectivement mais là où ça devient intéressant, c’est que dans le cadre des modèles inflationnaires, et notamment ceux d’inflation chaotique à la Linde, ils pourraient être produits en grandes quantités dans l’Univers primordial et exister de façon stable pendant une grande durée !

Nikolaï Kardachev, né le 25 avril 1932, est un radioastronome russe célèbre pour son échelle. Cette dernière classe les civilisations de l’univers en fonction de leur consommation en énergie. © Russian Academy of Sciences 

De tels trous de ver magnétiques, susceptibles de s’effondrer en formant des trous noirs, pourraient ainsi constituer une partie des objets astrophysiques autour de nous. Les auteurs de l’article proposent donc que certains noyaux actifs de galaxies (AGN) seraient en fait précisément des fossiles de l’époque où ces trous de ver étaient créés dans les premiers instants de l’Univers, en liaison probable avec des fluctuations du champ scalaire responsable de l’inflation ou à cause de processus de gravitation quantique.

Dans le cadre de l’inflation chaotique, non seulement il existerait des trous de ver connectant différentes régions dans notre Univers mais aussi entre les autres régions du Multivers. Cela permettrait, comme le souligne les auteurs, d’avoir des données observationnelles sur ces autres Univers hypothétiques et peut-être même de tester scientifiquement des théories comme celles du Landscape dans le cadre de la théorie des cordes. En effet, il y aurait une signature spécifique dans les jets relativistes associés aux noyaux actifs de galaxies (AGN) si ceux-ci sont dans certains cas des portes sur d’autres régions du Multivers, ou simplement du nôtre.

Mieux, Novikov et ses collègues parlent même d’un candidat AGN déjà observé pouvant peut-être prétendre au titre de trou de ver magnétique, Il s’agit du quasar QO9576-561 !

Plus que jamais le XXIe siècle s’annonce comme une période potentiellement extraordinaire pour notre connaissance de l’Univers.

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