Plusieurs études publiées ces dernières semaines viennent sonner la fin de partie concernant l’utilité de l’hydroxychloroquine dans le cadre de l’infection au SARS-CoV-2 : ça ne marche pas. Avec ou sans antibiotique. Qu’importe le moment où la thérapie est donnée. Fin de partie.

Il suffisait d’être patient. Il ne fallait pas crier « Fin de partie » le 25 février 2020 comme le Professeur Raoult, mais bien laisser un peu de temps à la science. Nous pouvons le dire à présent : c’est la fin de partie. Malheureusement, pas pour la Covid-19. Même si nous avons plus d’informations sur comment traiter au mieux un patient (corticothérapie, décubitus ventral), nous sommes loin de disposer d’un remède spectaculaire.

La fin de partie, c’est celle de la bi-thérapie devenue célèbre à cause de la propagande de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée infection de La Timone, à Marseille. Plusieurs études viennent d’être publiées dans la littérature scientifique. Elles sont unanimes : ça ne marche pas.

Un faisceau de preuves robuste

Des essais randomisés, nous en voulions, nous sommes servis. L’étude britannique d’envergure Recovery a été pré-publiée, suivie par des essais clinique conduits par des équipes américaines et brésiliennes, et de nouveaux essais in vitro et chez l’animal par des équipes françaises.

L’étude Recovery

Recovery a étudié l’efficacité de l’HCQ sur deux critères bien spécifiques. Ce sont ceux qui nous intéressent en priorité, à savoir la mortalité et la sortie de l’hôpital à 28 jours. Résultats : aucune différence entre les traitements standard (25 % de mortalité / 62,8 % de sortie) et le traitement par HCQ (26,8 % de mortalité / 60,3 % de sortie). Précisons, par honnêteté intellectuelle, que l’augmentation de la mortalité et de la durée du séjour à l’hôpital dans le groupe HCQ ne sont pas significatives, c’est-à-dire que les 2 % d’écarts observés peuvent s’expliquer par la variation autour de la mesure, ce qui veut dire que l’on ne peut rien en conclure, dans un sens comme dans l’autre. Étant donné les fausses informations qui ont circulé à propos de Recovery, nous rappelons que les médecins n’ont pas donné une dose toxique d’HCQ et que les patients de l’étude étaient dans un état modéré à sévère et qu’ils ont reçu le traitement entre 5 et 14 jours après le début des symptômes.

Les études américaines

Deux études américaines ont suivi, randomisées, contrôlées par placebo et en double aveugle : le gold standard de la recherche clinique. Dans la première publiée dans Annals of Internal Medicine, l’objectif était d’étudier les différences entre le groupe placebo et le groupe HCQ sur les effets secondaires, la persistance des symptômes, l’hospitalisation et le décès. Concernant le début des symptômes, les patients avaient commencé à en avoir la veille jusqu’à quatre jours maximum. Ils étaient tous non hospitalisés. Résultats : hormis les effets secondaires (maux d’estomac, nausées, douleurs abdominales) qui augmentent de façon significative avec la prise d’HCQ (43 % contre 22 %), aucune différence notable n’est décelable entre le groupe placebo et l’HCQ sur les autres paramètres.

Dans la seconde, publiée dans le New England Journal of Medicine, c’est l’usage en prophylaxie, c’est-à-dire pour prévenir l’infection, qui a été évalué, encore une fois, en respectant les standards de la recherche clinique de qualité. L’HCQ n’a pas réduit le risque d’infection (14,3 % d’infections dans le groupe placebo contre 11,8 % dans le groupe HCQ). Ici, c’est la diminution des infections dans le groupe HCQ qui n’est pas significative.

Les études françaises

Le 22 juillet dernier, ce sont deux publications parues dans Nature, l’une des plus prestigieuse revues scientifiques au monde, qui viennent asséner un coup fatal à l’hypothèse de l’HCQ. Une étude in vitro montre que ni la chloroquine ni l’hydroxychloroquine n’inhibent la réplication du SARS-CoV-2. Contrairement aux résultats préliminaires qui suggéraient une inhibition dans des cellules rénales de singes Véro, les résultats des équipes françaises montrent que ces molécules n’inhibent pas le SARS-CoV-2 au sein des cellules pulmonaires humaines.

Pourquoi donc ? On sait que l’une des stratégies du SARS-CoV-2 pour infecter nos cellules c’est de faire baisser le PH de ces dernières. C’est par ce biais-là que l’HCQ inhibe la réplication du SARS-CoV-2 au sein des cellules rénales de singes Véro, en augmentant le PH. Mais, in vivo, et plus particulièrement dans le compartiment pulmonaire, le SARS-CoV-2 possède une autre stratégie peu dépendante du PH : le détournement d’une protéase cellulaire du nom de TMPRSS2. Cette protéase n’est pas présente dans les cellules rénales de singes Véro. Dès lors, les scientifiques, pour vérifier que leur hypothèse était correcte, ont greffé cette protéase au sein de ces mêmes cellules rénales. Résultats : l’HCQ et la CQ n’ont plus aucun impact sur la réplication du SARS-CoV-2.

L’autre, conduite chez des macaques crabiers, conclut à l’inefficacité de l’HCQ et à celle de sa combinaison avec un antibiotique, indépendamment du moment de l’initiation du traitement (avant l’infection, tôt après l’infection avant le pic de charge virale, ou tard après l’infection après le pic de charge virale) et du dosage. Pourtant, les concentrations sanguines et pulmonaires d’HCQ étaient bel et bien élevées. Les auteurs font la conclusions suivante : « Il est peu probable que le traitement par HCQ ait une activité antivirale dans les compartiments respiratoires. Nos résultats illustrent l’écart fréquent entre les résultats d’essais classiques in vitro et d’expériences in vivo, comme rapporté pour d’autres infections virales telles que la grippe, la dengue ou le chikungunya, où les essais cliniques ont échoué. En outre, notre évaluation ne supporte pas l’utilisation de l’HCQ comme traitement chez l’humain. »

L’étude brésilienne

Une autre étude randomisée, réalisée dans un climat particulier au Brésil, conclut à l’inefficacité de la célèbre bi-thérapie marseillaise comparée à un placebo sur l’échelle de gravité de la maladie. L’étude n’est pas en aveugle et plusieurs biais s’y trouvent comme une part non négligeable de patients avec des tests négatifs ou ayant déjà utilisés la bi-thérapie en auto-médication avant l’inclusion au sein de l’essai. Peu étonnant lorsqu’un président fait la promotion d’un traitement à grande échelle. L’étude a donc des défauts et isolée, elle ne serait pas concluante. Néanmoins, ajoutée au faisceau de preuve dont nous disposons, cette dernière fait sens.

La réaction de groupes et personnes publiques

De plus, un acteur de la critique de la littérature médicale en France, la revue Prescrire, indépendante de tous liens pharmaceutiques, vient de prendre position grâce aux données de la science et conclut le 24 juillet 2020, ceci : « Les résultats d’essais comparatifs de l’hydroxychloroquine en traitement de la maladie Covid-19 deviennent consistants, et la balance bénéfices-risques paraît de plus en plus clairement défavorable dans cette situation. »

Des personnalités publiques comme Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, ont également pris la parole à la suite de toutes ces publications. L’ancien directeur de l’Inserm se dit très mécontent des agissements de son collègue Didier Raoult : « C’est un scientifique de haute volée, directeur de l’un des six IHU français, les perles de la recherche hospitalo-universitaire, doté d’un budget de l’ordre de 120 millions d’euros par an, on attendait de lui de la belle science, robuste, contrôlée. Pas des publications hebdomadaires à grand succès sur YouTube, la mobilisation sur un tel sujet d’un invraisemblable mouvement d’opinion qui restera dans les annales, des articles bâclés dans des revues maison. Ils ont failli, déconsidéré la recherche hospitalo-universitaire française, effroyablement compliqué la recherche clinique dans le monde entier. » En effet, on rappellera qu’à ce jour, plus de 243 études sont encore en cours concernant l’HCQ et que l’inclusion de certains patients restent difficiles car ils souhaitent se voir administrer uniquement ce traitement.

Pour y voir plus clair rapidement, Thibaut Fiolet, épidémiologiste, a fait une synthèse visuelle des études publiées sur l’HCQ que vous pouvez retrouver ici. Aussi, une vidéo de médecins américains vantant les mérites du traitement HCQ, azythromicine et zinc a été rigoureusement décortiquée et les arguments minutieusement étudiés par nos confrères de l’AFP factuel. Enfin, l’excellent thread référencé de Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue et doctorant en santé publique, reprend aussi la totalité des arguments souvent énoncés en faveur de l’HCQ et montre bien qu’il ne fallait pas se précipiter.

Un IHU dans le déni

Plusieurs articles (1,2,3) très critiques ont été publiés dans la même revue où le premier article de l’équipe marseillaise a paru. Est-ce de la désinformation scientifique volontaire de la part de la revue d’avoir orchestré un temps de reviewing si long pour des critiques et si peu pour un article à la méthodologie problématique ? Selon une réponse de l’IHU, non. Cette publication était là pour ouvrir un débat rapide sur les pistes de traitements contre la Covid-19. Curieuse façon d’ouvrir un débat que de publier une étude avec autant de défauts méthodologiques. Dans la même réponse, l’IHU s’enlise dans ses défenses habituelles, en prenant ses études critiquées de toutes parts comme référence, en critiquant tout ce qui relève de la Big Data par principe et en analysant les liens d’intérêts des chercheurs publiant des résultats négatif envers l’hydroxychloroquine, quitte à faire de la soupe statistique.

Il va sans dire que, sur la méthode, cette équipe marseillaise joue un drôle de jeu. Mais ce qu’elle manie habilement, c’est la rhétorique pour critiquer cette même méthode. Elle cite alors de célèbres philosophes des sciences tels que Thomas Khun ou Paul Feyerabend pour se justifier. Nous avons discuté avec Raphaël Taillandier, professeur de philosophie, afin de voir ce qui n’allait pas dans la reprise de ces grandes figures de l’épistémologie.

Un changement de paradigme ?

Premièrement, Khun. Yanis Roussel, qui gère la communication de Didier Raoult, dans une tribune pour La Provence utilise Khun pour servir ses propos. Selon Raphaël Taillandier, on assiste là à du name dropping, c’est-à-dire citer des noms connus, notamment de personnes, d’institutions, d’œuvres, de marques commerciales ou de titres d’ouvrage pour tenter d’impressionner ses interlocuteurs.

En effet, Yanis Roussel pose dans sa tribune la question du conflit entre l’exigence scientifique de consensus et l’exigence politique de pluralisme. « La thèse de la tribune, c’est que les décisions politiques ne doivent pas se faire à partir du consensus scientifique, mais à partir de la discussion démocratique. Il y aurait plusieurs choses à dire sur cette thèse. Premièrement, c’est une mauvaise lecture de la nature des sciences. C’est assez étrange de penser qu’elle n’a pas de controverse démocratique en son sein. Si ce n’est pas le cas, d’où peuvent bien venir les consensus ? Secondairement, il faudrait élaborer la distinction entre comment se prend une décision politique et comment se forme une connaissance scientifique : la connaissance ne dépend pas de tel ou tel contexte politique, elle doit être universelle », nous explique Raphaël Taillandier.

Mais revenons-en au travail de Thomas Khun. Dans son célèbre ouvrage La structure des révolutions scientifiques, le philosophe des sciences fait bien comprendre que la révolution scientifique n’est pas un état désirable de l’exercice scientifique, seulement une étape nécéssaire. « Pendant une révolution scientifique, les problèmes à résoudre, les instruments de mesures à utiliser et les solutions à apporter sont très mal définis. Ce n’est pas un milieu propice pour la production de connaissance. Selon Khun, il ne peut y avoir de science « normale », pour reprendre ses termes, qu’au sein d’un paradigme, » détaille Raphaël Taillandier.

L’équipe marseillaise, de par les problèmes qu’elle essaie de résoudre, les instruments de mesures qu’elle utilise et les solutions qu’elle tente d’apporter, agit bien au sein du paradigme actuel des sciences médicales. « On peut dire que Khun soutient que la recherche du changement scientifique à tout prix (comme le ferait un scientifique qui prétend rompre avec toute tradition…) est irrationnelle puisqu’elle se prive de l’ancrage dans une tradition nécessaire à la recherche scientifique, » conclut Raphaël Taillandier.

Contre LA méthode ?

Secondement, Feyerabend. « En réalité, Paul Feyerabend n’aurait strictement rien à dire sur le travail du professeur Raoult. Il faut clarifier l’usage de l’article « la » dans « Contre la méthode » de Feyerabend. Cédric Paternotte, un philosophe des sciences contemporain, a fait un article pour expliciter cette différence. Feyerabend ne rejette pas le fait général d’utiliser une méthode mais le monopole d’une méthode unique, » explique Raphaël Taillandier.

Cela ne semble pas être compris par le Professeur Raoult dans cette vidéo datant du 13 février 2020 dans laquelle, à 9 minutes 55, il prétend que Feyerabend serait partisan du fait que « ce qui empêche le plus de comprendre les choses, c’est la méthode ». À cela, Raphaël Taillandier répond qu’« il est vraiment naïf de croire qu’une pensée dépourvue de méthode peut s’engager sur la chemin de la science. Elle peut, au mieux, avoir une méthode confuse et donc ne pas en avoir conscience : elle est donc ignorante, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas réaliser son auto-critique. Mais elle n’est certainement pas sans méthode. »

On pourrait donc penser que l’équipe marseillaise combat le monopole de la méthode des essais randomisés. Il y a deux problèmes ici. Le premier est que les essais randomisés n’ont pas le monopole. Ils sont le gold standard de la recherche, ce qui est bien différent. Sur la pyramide des niveaux d’évidence de la médecine fondée sur les preuves, il existe différentes méthodes, pour obtenir des données de différentes qualités qui participent à former un faisceau de preuves démontrant bien l’absence de monopole des essais randomisés. Mais oui, ces études sont bel et bien nécessaires pour conclure sur l’efficacité d’une thérapeutique.

Ce qui nous amène au second problème qui est de penser que les essais randomisés ont été élevés au rang de gold standard sans raison valable. Au contraire, c’est bien notre meilleure compréhension des facteurs de confusions qui pouvait influer sur la guérison d’une pathologie qui a poussé les artisans de la science médicale à adopter une telle méthode. Première conclusion donc : l’équipe marseillaise ne peut pas combattre le monopole d’une méthode unique étant donné qu’il n’existe pas.

Ce qu’elle combat en réalité, c’est la nécessité de cette méthode pour valider l’efficacité d’une thérapeutique. Et nous l’avons vu plus haut, une pensée scientifique ne peut être dépourvue de méthode. Didier Raoult ne propose pas une autre méthode mais la même méthode (celle du test empirique) avec moins de rigueur. L’utilisation de Feyerabend pour justifier ce laxisme repose d’ailleurs sur une confusion. Il ne propose pas une nouvelle théorie de la méthode. Car oui, méthode et théorie ne sont pas la même chose.

« Pour faire très simple, une théorie est un ensemble d’hypothèses réunies en un système cohérent permettant de rendre compte (cela peut vouloir dire expliquer, décrire, etc.) d’un domaine de phénomènes donné. Une méthode est un ensemble de principes intellectuels permettant d’obtenir une fin donnée. On parle souvent de méthode scientifique au sens des procédures de mise à l’épreuve d’une théorie. Deux théories, par exemple, peuvent être soumises à une même méthode de test. C’est ce que propose explicitement Feyerabend lorsqu’il affirme que l’on peut faire des expériences cruciales pour départager des théories différentes. Ce point permet de montrer qu’entre Feyerabend et Raoult, il n’y a même pas de sujet commun », développe Raphaël Taillandier.

Aussi, dans ses interventions, le professeur Raoult n’est généralement pas en train d’argumenter sur des points épistémologiques pour soutenir sa « méthode » mais souvent des arguments éthiques (il faut soigner les malades, etc.). Mais, une nouvelle fois, cela n’a strictement rien à voir avec le travail de Feyerabend. « Feyerabend soumet la politique – le pluralisme libéral en sciences – à la recherche de la vérité. Le professeur Raoult fait exactement le contraire ! » s’exclame Raphaël Taillandier. Là où Paul Feyerabend aurait sûrement encouragé les essais sur les autres traitements (de façon cohérente avec son pluralisme libéral), Didier Raoult prône un monopole pour l’HCQ. C’est elle qui marche et puis c’est tout ! Ce point ne fait que révéler au grand jour la contradiction existante entre lui et les thèses de Feyerabend dont il se revendique.

Fallait-il conduire toutes ces études ?

D’un point de vue purement scientifique, il semblerait que la précipitation à réaliser des essais cliniques sur des humains avec de l’HCQ dans une pathologie comme la Covid-19 soit éminemment problématique. Nous avons discuté avec Mathieu Molimard, professeur de Pharmacologie au centre hospitalo-universaire de Bordeaux, qui avait déjà livré quelques éléments de réponses à nos confrères de Sciences et Avenir, afin de mieux comprendre pourquoi.

Tout d’abord, Mathieu Molimard nous rappelle que « l’effet anti-viral de l’HCQ est connu depuis des années et que, malgré une activité anti-virale in vitro dans plusieurs pathologies comme la grippe, les résultats n’ont jamais été au rendez vous chez l’Homme. Pire, parfois, elle aggrave le pronostic comme dans le cas du Chikungunya ». C’est ce que nous avions relevé dans notre premier article sur le sujet, grâce à l’excellent éditorial de Xavier de Lamballerie et Franck Touret, tous deux travaillant à l’unité des virus émergents à l’IHU de Marseille.

Si on avait mis de côté la folie médiatique et l’urgence, qui n’est pas un bon argument pour justifier une précipitation, voyons ce qu’il aurait fallu comme rationnel pré-clinique pour conduire ces études. Nous sommes bien là au sein d’un paradigme thérapeutique pharmacologique. Les outils pharmacologiques sont donc utiles pour étudier la plausibilité de l’hypothèse qu’on souhaite tester. « Dans les études publiées sur des cultures de cellules animales infectées, on constate que, comme pour les autres virus, il faut une concentration extracellulaire d’hydroxychloroquine très élevée (concentration efficace médiane ou EC50 = 5 μM (3) ) pour obtenir un effet in vitro. Cela signifie que l’EC90 est encore plus élévé. Une telle concentration est difficilement atteignable chez l’Homme du fait d’une toxicité à partir de 2 μM dans le plasma. D’une manière générale, l’ensemble des médicaments administrés par voie systémique ont des EC50 entre 10-9 et 10-6. Au-delà, les concentrations sont difficiles à atteindre sauf en traitement topique (c’est-à-dire local : aérosol pour les bronches, crème pour la peau, etc.). Surtout, plus l’EC50 est élevé, plus on perd la sélectivité et plus on touche de nombreux récepteurs et organes, ce qui est souvent source d’effets indésirable ou de toxiciténous  », explique Mathieu Molimard.

Dès lors, on aurait pu s’arrêter là. La pharmacologie nous le dit : ça ne marchera pas. Et comme les recherches se font au sein de ce paradigme, il aurait été tout à fait normal de tenir compte de cette conclusion. Mais soit. Disons que le contexte nous pousse à un excès de modestie et que l’on se dise que cela ne coûte rien de passer à l’étape suivante et de tester ce médicament chez les animaux (nous restons pour autant persuadés que les philosophes qui travaillent sur le sujet de l’éthique animale auraient à redire à cela), peut-être a-t-il un effet insoupçonné, inconnu…

Mathieu Molimard nous explique alors le déroulement supposé qui aurait dû se produire : « Il y a un grand pas entre les données in vitro, le modèle animal et les données cliniques. Avant de passer à l’étude chez l’Homme, les données sur les cellules rénales de singe (cellule Vero) auraient dû être reproduites sur des cellules humaines. Comme vous l’avez mentionné plus haut, on sait maintenant que l’hydroxychloroquine n’a aucun effet inhibiteur sur le virus dans les cellules humaines pulmonaires grâce à l’étude publiée dans Nature par une équipe française. »

Les bases de l’utilisation chez l’Homme sont donc inexistantes et on aurait dû s’arrêter là en concluant que le modèle de cellule de singe impliquait des concentrations trop élevées pour être crédible et le modèle de cellule humaine enlevait tout espoir. « L’étape suivante aurait normalement dû être un modèle animal et, comme vous l’avez aussi précisé, on sait maintenant que c’est négatif à forte dose chez le singe grâce aux résultats de la même équipe », poursuit Mathieu Molimard.

Mais, admettons que, dans l’urgence (qui reste toujours une mauvaise raison dans cette situation précise), on décide de sauter cette étape qui prend du temps. Que se serait-il passé ? « Nul besoin d’une phase I à savoir la première administration à l’Homme : on sait que l’hydroxychloroquine a une marge thérapeutique étroite (c’est-à-dire que la dose qui soigne est proche de dose toxique, ndlr) avec une toxicité apparaissant rapidement, un volume de distribution très élevé du fait de sa lipophilie(affinité avec les lipides, ndlr) et de sa pénétration intracellulaire, ce qui pose problème pour monter les concentrations dans le plasma et a une demi-vie de plus de 10 jours. Or, pour atteindre une concentration d’équilibre, il faut 5 demi-vies. Ainsi, dans le lupus, le traitement est efficace seulement après 1 mois de prise. Ce délai, qui est en partie lié aux propriétés pharmacocinétiques, est incompatible avec une utilisation curative antivirale rapide », détaille Mathieu Molimard.

Vous penseriez qu’il ne faudrait pas poursuivre à la vue de tous ces éléments ? Mais Mathieu Molimard continue et imagine qu’on aurait voulu avoir « ceinture et deux paires de bretelles » pour être absolument sûr que ça ne marche pas. Nous serions donc directement passé à la phase numéro II de l’essai clinique qui a pour objectif de vérifier chez les patients le bénéfice d’une thérapeutique sur un critère aisément mesurable. Par exemple, dans l’infection à SARS-CoV-2, la charge virale. « Nous disposons de deux études réalisées avec randomisation du traitement par rapport à un groupe contrôle depuis mars, l’une avec 30 patients à la posologie de 400 mg/j (4), l’autre avec une forte posologie de 800 mg/j chez 150 patients (5). Aucune des deux ne trouve un quelconque effet de l’hydroxychloroquine sur la sécrétion virale chez l’Homme. Ces études relativement bien conduites étant négatives, le développement devrait s’arrêter définitivement là et ne pas poursuivre en phase 3. Dès la fin mars, on savait, avec ces éléments, que l’hydroxychloroquine ne marchait pas. Reste à savoir maintenant si l’effet immunomodulateur de l’hydroxychloroquine n’a pas en fait aggravé les patients comme c’est le cas pour le chikungunya et si ce traitement n’est pas sur-représenté chez les patients présentant un syndrome post covid. Le suivi des patients à long terme dans les essais cliniques et les études de pharmacoépidémiologie devraient essayer de se pencher sur cette question », conclut Mathieu Molimard.

Tous ces éclaircissements permettent d’esquisser une réponse à la même question d’un point de vue moral. Avec ce qu’on savait dès la fin mars au sujet de l’HCQ, autant sur le rationnel pré-clinique que sur son passif mitigé dans les infections virales, il ne fallait pas conduire ces études. Et il faudrait arrêter les études isolées qui testent en ce moment même cette thérapeutique.

Pourquoi ? Dans le but de préserver les individus d’un traitement sans efficacité propre (avec des effets secondaires potentiels) d’une part et d’autre part, de gaspiller des ressources précieuses (temps et argent) dans des recherches inutiles. C’est un préjudice moral individuel et collectif qui se donne à voir ici. On ne parle même pas du préjudice encore plus lourd de l’engouement médiatique suscité par l’IHU, quand on constate que la recherche clinique mondiale a dû faire face à des patients qui ne voulaient pas participer à des essais cliniques mais voulaient le traitement qu’ils pensaient efficace (quoi de plus naturel ?).

On sait aussi que ce traitement, diffusé à grande échelle, a certainement entraîné un préjudice sur la qualité du soin. En effet, le soin prodigué a certainement entraîné des effets secondaires non nécessaires chez certains individus. Aussi, les futures études épidémiologiques de pharmacovigilance pourront nous renseigner sur le préjudice en terme de vies humaines. Le traitement a-t-il aggravé la santé de patients au point d’avoir été un facteur de leur décès ? Nous ne le savons pas encore, mais nous suivrons l’affaire de près.

Références : 

(1) : Machiels, J. D., Bleeker-Rovers, C. P., Ter Heine, R., Rahamat-Langendoen, J., de Mast, Q., Ten Oever, J., … & Wertheim, H. F. (2020). Reply to Gautret et al: hydroxychloroquine sulfate and azithromycin for COVID-19: what is the evidence and what are the risks?. International Journal of Antimicrobial Agents, 106056

(2) : Voss, A., Coombs, G., Unal, S., Saginur, R., & Hsueh, P. R. (2020). Publishing in face of the COVID-19 pandemic. International Journal of Antimicrobial Agents.

(3) : Sanders, J. M., Monogue, M. L., Jodlowski, T. Z., & Cutrell, J. B. (2020). Pharmacologic treatments for coronavirus disease 2019 (COVID-19): a review. Jama, 323(18), 1824-1836.

(4) : Chen, J., LIU, D., LIU, L., LIU, P., XU, Q., XIA, L., … & QIAN, Z. (2020). A pilot study of hydroxychloroquine in treatment of patients with common coronavirus disease-19 (COVID-19). Journal of Zhejiang University (Medical Science), 49(1), 0-0.

(5) : Tang, W., Cao, Z., Han, M., Wang, Z., Chen, J., Sun, W., … & Chen, W. (2020). Hydroxychloroquine in patients with COVID-19: an open-label, randomized, controlled trial. MedRxiv.

Sources

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