Pour la première fois un échantillon de cerveau a été modélisé et fonctionne comme un vrai.

Simulation

Ils l’ont rêvé, ils l’ont fait. 82 chercheurs d’équipes internationales ont produit la première simulation virtuelle d’un cortex de rat, mimant parfaitement les neurones biologiques. Une petite portion du moins. Telle est l’information inédite que publie, en Une de la prestigieuse revue Cell, le consortium Blue Brain Project, le centre de simulation du Human Brain Project, hébergé par l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Nous sommes encore loin du cerveau entier, bien sûr ! Nous parlons là de la simulation de 0,3 mm3 de tissu cérébral mais c’est déjà un exploit. Cet échantillon contient à lui seul 31 000 neurones, 8 millions de connexions formant 40 millions de synapses, parfaitement virtuels. Le tout fonctionnel comme un vrai ! Le modèle est désormais à disposition sur un portail Web public afin que les chercheurs du monde puissent l’utiliser.

Cette publication constitue une magistrale preuve de concept pour la simulation du cerveau », se félicite Patrick Aebischer, président de l’EPFL qui a soutenu depuis le début le Blue Brain Project, fondé par Henri Markram et mis en œuvre par l’EPFL mais aussi des équipes de recherches en Israël, Espagne, Hongrie, États-Unis, Chine, Suède et Royaume Uni.

Collecte

Comment ont-ils fait ? Pendant deux décennies, véritable travail de fourmi, les scientifiques ont collecté des milliers de données anatomiques et physiologiques sur des cerveaux de rats. Ils ont consciencieusement décrit par le menu chaque neurone et chaque synapse ainsi que leurs interactions d’une zone bien particulière : le néocortex. C’est la couche fine qui recouvre les hémisphères cérébraux, siège des fonctions cognitives les plus évoluées, composé de six couches de neurones de types différents interconnectés. En réalisant des milliers d’expériences sur ces neurones et synapses, ils en ont défini les différents types et ont identifié des règles fondamentales qui régissent la manière dont les neurones sont agencés et connectés dans des microcircuits.

Puis, ces dix dernières années, les modélisateurs ont traduit ces données en équations mathématiques pour pouvoir les rendre plus vraies que nature dans le programme de simulation. Et, grâce à la puissance du supercalculateur Blue Gene (65 536 processeurs, 839 téraflops de performance, et 65 téraoctets de ram…) le modèle a pu s’animer.

“L’algorithme commence par mettre en place des modèles 3D réalistes de neurones dans un volume virtuel, en respectant la distribution mesurée de différents types de neurones à différentes profondeurs, explique Michael Reimann, un des auteurs principaux (EPFL) qui a développé l’algorithme utilisé pour prédire l’emplacement de près des  millions de synapses dans les microcircuits. Ensuite, il détecte tous les endroits où les branches des neurones se touchent — près de 600 millions. Puis il coupe systématiquement tous les contacts qui ne répondent pas à cinq règles biologiques de connectivité. Il reste 37 millions de contacts, qui sont les endroits où nous avons construit nos synapses-modèles.”

Ces outils informatiques sont prometteurs pour la recherche en neurosciences

Résultat : une stupéfiante colonne de milliers de neurones connectés qui tourne sur l’écran du moniteur. Mais surtout : les statistiques de connectivité du modèle simulé et les mesures expérimentales faites sur les tissus biologiques concordent ! Javier de Felipe, auteur de l’étude, de l’Université polytechnique de Madrid, l’assure en effet ; la reconstitution numérique correspond bien aux données fournies par les puissants microscopes électroniques obtenues par ailleurs.

“Ces outils informatiques, désormais à disposition des chercheurs du monde entier, sont prometteurs pour la recherche en neurosciences”, poursuit Patrick Aebischer. “C’est un jour spécial pour nous, et pour moi c’est un pic d’accomplissement personnel, confie également Idan Seguev, coauteur de l’étude, de l’Université hébraïque de Jérusalem. C’est un moment historique, la première fois qu’un circuit cérébral complet est reconstruit virtuellement. Nous pouvons l’utiliser pour faire de nombreuses prédictions, et surtout les données sont désormais en libre accès et disponibles pour tous.” L’objectif de ce modèle est, en effet, à partir de maintenant d’être utilisé par le plus grand nombre pour mener à bien des expériences.

Ce n’est pourtant qu’un début. Le modèle, imparfait, ne prend pas encore en compte les cellules gliales, aussi nombreuses que les neurones et nécessaires à leur métabolisme. Ni la plasticité, c’est-à-dire la capacité des neurones et de leurs connexions à être modifiés dans le temps. En outre, si la puissance des supercalculateurs disponible est suffisante d’après l’EPFL pour numériser un cerveau de rat complet, il faudra largement plus pour simuler un cerveau humain!

Quoi qu’il en soit, les chercheurs du Blue Brain Project au sein du Human Brain Project qui a été maintes fois controversé l’affirment : les reconstructions numériques et les simulations fournissent une nouvelle manière de faire des neurosciences, ce qu’on appelle les neurosciences in silico. “Tout a commencé avec Santiago Ramon y Cajal (1852-1934, ce histologiste qui décrivit l’anatomie du système nerveux), conclut Idan Segev. Mais sur le papier il n’y avait ni activité ni connectivité. Aujourd’hui nous avons bien plus. Il aurait été heureux.”

Sources

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