Des puces quantiques à base de silicium pourraient permettre d’exploiter les techniques de production industrielle bien connues avec les puces classiques au silicium pour produire massivement les ordinateurs quantiques du futur. Mais là, comme dans le cas d’autres voies explorées pour ces ordinateurs mythiques, les obstacles sont encore formidables. Tout de même, la première téléportation quantique entre deux circuits au silicium a été réussie, produisant et manipulant des photons intriqués.

On s’accorde à dire que ce sont Erwin Schrödinger et Albert Einstein qui ont découvert au milieu des années 1930 le phénomène d’intrication dans les équations de la théorie quantique dont ils étaient parmi les plus importants pères fondateurs. Schrödinger en tira une expérience de pensée qui deviendra célèbre avec son fameux chat et Einstein, une autre expérience de pensée non moins fameuse, qui sera appelée le paradoxe ou l’effet EPR. Il sera exposé dans un article publié en 1935 et il a été développé en collaboration avec Boris Podolsky et Nathan Rosen dans le but de réfuter l’interprétation de Copenhague de la physique quantique.

Depuis la démonstration faite en 1982 de l’existence de l’intrication quantique par Alain Aspect et ses collègues Philippe Grangier, Gérard Roger et Jean Dalibard, ce phénomène est observé dans de nombreuses expériences. Il intervient maintenant depuis la fin des années 1990 dans des programmes de recherches qui font rêver, à savoir les ordinateurs quantiques, la téléportation quantique (voir un début d’explication à ce sujet dans la vidéo avec Claude Aslangul ci-dessus et celle avec Gilles Brassard et Claude Crépeau ci-dessous) ainsi que dans le domaine de la cryptographie quantique.

Il est montré clairement que deux particules intriquées sont en quelque sorte un tout indivisible, même si elles sont séparées par des années-lumière. L’observation d’une propriété de la première particule, ou plus généralement d’un des deux systèmes physiques quantiquement intriqués, va provoquer plus vite que la lumière une modification d’une autre propriété similaire pour l’autre particule, et ce, de façon correlée, pas arbitraire bien qu’avec une loi de probabilité.

Aujourd’hui, des physiciens de l’université de Bristol — en collaboration avec leur collègues de l’université technique du Danemark (DTU) et d’autres universités du village global du philosophe et sociologue des médias canadien Marshall McLuhan — ont annoncé via un article dans Nature, qu’ils étaient parvenu à faire sauter l’un des verrous concernant la téléportation quantique exploitant l’effet EPR. Ce verrou pouvait faire obstacle au développement d’un futur internet avec des communications quantiques fiables utilisant la téléportation quantique d’information, c’est-à-dire aussi peu violables et sensibles au bruit que possible. Il concerne plus généralement les applications technologiques envisagées basées sur le concept d’information quantique.

La théorie de la communication, une clé des ordinateurs

Ainsi, tout comme dans le cas des ordinateurs classiques, il se pose les problèmes de communication des informations entre des puces pour faire fonctionner des ordinateurs quantiques qui exploiteraient la voie des puces au silicium. Ces circuits usent aussi de photons pour échanger des informations et faire des calculs en effectuant des opérations sur les états quantiques présents dans les dispositifs. Concrètement, comme dans le cas de tous les ordinateurs, les puces doivent se passer des données en mémoire et des résultats de calculs ; il y a donc une théorie de l’information à la Claude Shannon et des technologies qui sont les correspondantes de celles utilisées pour la télécommunication, par ondes radio ou fibres optiques. Là aussi, il faut éviter que les informations transmisses soient bruitées et le mode de transfert doit être aussi optimal que possible.

Dans le cas qui nous occupe, les physiciens sont arrivés à effectuer la première téléportation d’états quantiques entre des qubits, les bits d’information quantiques, portés par deux puces différentes. Cela ouvre une voie de recherche pour des ordinateurs, ou pour le moins des calculateurs quantiques constitués de nombreuses puces similaires. Il faudrait beaucoup de qubits, donc de puces, pour vraiment avoir des ordinateurs quantiques capables de détenir une suprématie quantique indiscutable dans beaucoup d’applications basées sur des algorithmes quantiques. Sans eux, les simulations par des ordinateurs classiques seraient bien trop prohibitives en temps d’exécution, voire impossibles à l’échelle d’une vie humaine.

La fabrication des puces au silicium étant bien maîtrisée pour des applications industrielles — si l’on est en mesure aussi de contourner le fameux obstacle de la décohérence qui rend de plus en plus difficile l’exécution de calculs quantiques fiables avec une augmentation du nombre de qubits –, la vraie révolution des ordinateurs quantiques pourrait donc bien peut-être (car la concurrence est rude au niveau mondiale) venir un jour des variantes des puces avec téléportation quantique aujourd’hui construites par les chercheurs de l’université de Bristol et l’université technique du Danemark.

Incidemment, l’intérêt de la voie du silicium pour les ordinateurs quantiques est aussi explorée en France, à Grenoble, comme Futura l’expliquait dans un précédent article. Il s’agit là aussi de voir si l’on ne peut pas transposer les connaissances et les technologies CMOS (Complementary Metal Oxide Semiconductor, technologie de fabrication de composants électroniques), largement utilisées dans l’industrie microélectronique avec les puces de silicium classiques, à des puces quantiques que l’on pourrait donc là aussi in fine produire en masse.

La téléportation quantique pour les nuls

Il faut déjà savoir qu’il ne s’agit nullement d’une téléportation de matière comme dans Star Trek et qu’il ne s’agit pas non plus d’une transmission d’informations plus vite que la lumière. Il y a téléportation d’un état quantique, lequel peut contenir une information en provenance d’une source mais cette information ne sera pas lisible sans un vrai transfert classique d’un complément d’information de la première source vers le lieu de réception, lequel ne peut pas se faire plus vite que la lumière.

Prenons l’exemple d’un roman en deux parties. Pour être cohérent, le contenu de la seconde partie doit être corrélé avec le contenu de la première. Imaginons en plus qu’il est impossible de vraiment comprendre la seconde partie sans avoir pris connaissance de la première.

Maintenant, imaginons que la première partie contienne deux choix possibles d’événements qui vont entraîner deux fins possibles différentes du roman mais que les choix initiaux n’ont pas été faits. Deux particules quantiques intriquées portant des informations sont l’équivalent des deux parties du roman précédent. Par analogie, si les deux parties sont quantiques et intriquées, la lecture de la première partie par un observateur va sélectionner un des deux choix possibles des deux événements : c’est la fameuse réduction de la fonction d’onde ou du vecteur d’état en mécanique quantique. La physique, pour garder la cohérence logique de tout le roman, va alors faire basculer la seconde partie dans un état correspondant à la fin cohérente avec la détermination du choix aléatoire d’un des deux événements en suspens dans la première partie du roman.

Si la première partie est sur Terre et la seconde sur Mars, comme dans le cas des mesures sur des paires de particules intriquées par effet EPR, la partie sur Mars va se modifier en contenant une information dépendante de celle fixée sur Terre comme si une influence avait voyagé plus vite que la lumière — on sait que c’est bien le cas dans l’effet EPR même si nous ne savons pas si l’effet est instantané.

Mais, pour un observateur sur Mars, en pratique, aucune information n’aura voyagé plus vite que la lumière car il ne peut décrypter la seconde partie sans avoir la première, laquelle doit être transmise au mieux par des ondes radios, comme dans l’exemple donné dans la vidéo de Gilles Brassard et Claude Crépeau. Au final, pour cet observateur, l’information utilisable a été transmise au mieux à la vitesse de la lumière. Einstein peut respirer, sa théorie de la relativité restreinte reste sauve.

Des puces photoniques au silicium

Dans les expériences faites par les chercheurs et dont parle la publication de Nature, on utilise des circuits sur des puces de type CMOS capables de produire des paires de photons intriqués et même des paquets de quatre photons portant donc quatre qubits et qui sont des exemples de ce que l’on appelle dans le domaine de la théorie de l’information quantique des états de Greenberger – Horne – Zeilinger (états GHZ). Rappelons que les états GHZ sont une généralisation des états initialement considérés pour étudier l’effet EPR avec des paires de systèmes intriqués (photons ou électrons) mais qui impliquent au moins trois sous-systèmes (états de particules ou qubits). Ils ont été étudiés pour la première fois par Daniel Greenberger, Michael Horne et Anton Zeilinger en 1989.

Les puces produisaient des photons dans des états quantiques sur lesquels elles pouvaient faire des opérations. Les photons émis en sortie d’une puce ont été envoyés via une fibre optique vers une autre puce et parmi les opérations étudiées, il a été effectué celle de téléportation d’états quantiques entre deux puces au silicium pour la première fois.

Sources

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